28. DNA

Après mon dernier voyage, j'avais besoin de temps pour récupérer. Le temps guérit, apporte des conseils et détermine le rythme. Voici mon texte sur ce qui s'est passé pendant les derniers jours avant mon retour en Belgique.

Ma première semaine en Inde a été fantastique. Le fait d'être là avec mon fils m'a apporté un équilibre différent de celui que j'avais pu connaître auparavant. Me sentir sa mère a été magnifiée, mais ma vulnérabilité est également devenue très visible et tangible pour lui.

À la fin de cette première semaine, j'ai rencontré une personne qui m'a orientée vers un politicien de Muzaffarpur et qui m'a fixé un rendez-vous avec lui. Le jour suivant, nous sommes allés chez le "mukhajee". Je m'étais préparé à une conversation aléatoire au cours de laquelle je lui expliquerais pourquoi je cherche ma mère et l'impact de l'adoption. Quand nous sommes arrivés, nous avons été accueillis par une armée de cinq hommes. Surprise mais aussi un peu incertaine, je me suis avancée vers eux avec mon fils et un ami. On nous a proposé des sièges. Bientôt, un homme a commencé à appeler des personnes avec son gsm. Il a prétendu me reconnaître sur ma photo de passeport. Une famille du village aurait perdu une sœur à cause des circonstances pendant la période où j'avais disparu. Avant que je ne le sache, cinq autres hommes se tenaient autour de nous. Ils sont arrivés, à intervalles de 10-15 minutes chaque fois. Je ne savais pas du tout ce que je devais ressentir, penser et encore moins faire. Mon fils aussi vivait la situation dans une confusion totale. La famille m'a invitée à célébrer avec eux la chhath puja, le rituel hindou de l'année dans le Bihar. Comme mes émotions prenaient le dessus, j'ai d'abord accepté, mais j'ai indiqué qu'une nuitée ne serait pas possible. Ce rituel dure normalement trois jours. Après les 5 hommes, une vieille dame s'est également jointe à la fête. Elle avait l'air très ignorante et je n'ai pratiquement ressenti aucune émotion avec elle, comme avec le reste des membres de la famille d'ailleurs. Par la suite, lorsque la glace a été quelque peu brisée, elle a affirmé qu'elle se serait occupée de moi lorsque j'étais un bambin. Je n'ai pas vraiment compris et je me suis laissée guider par les ondes positives qui étaient dans l'air à ce moment-là: une famille indienne qui me reconnaissait et qui voulait m'accueillir ! C'était une expérience incroyable pour moi.

On nous a emmenés dans une belle maison et on nous a servi de la nourriture ainsi que des bouteilles d'eau. Nous étions littéralement portés sur leurs mains. Après le repas, il était temps de se détendre. Une petite pièce avait été dégagée pour nous et nous avons commencé à analyser la situation. J'ai demandé à un ami de la famille indienne de dessiner un arbre généalogique. Les noms des membres de la famille sont sortis sans problème mais les âges ont été littéralement jonglés. Mon fils a attiré mon attention sur ce point et j'ai commencé à avoir des doutes. L'histoire de cette famille a montré que mes parents étaient déjà morts. Je n'ai pas et ne pouvais pas encore considérer cela comme vrai. Finalement, nous avons décidé de rentrer à Patna et de revenir le lendemain pour le rituel.

Sur le chemin de Patna, j'ai craqué, mon fils s'efforçant de me tirer de mon chagrin. Je me suis sentie coupable envers lui, mais aussi complètement perdue. Que devais-je penser de cette situation? J'ai appelé un ami en Belgique qui m'a écouté sans jugement. Ça m'a fait beaucoup de bien. Alors que nous traversions le pont sur le Gange, j'ai dit à mon fils: "Chéri, dans cette quête, je ne suis sûr de rien, mais ce dont je suis sûre, c'est que tu es mon fils, et que je t'aime de façon incommensurable." Ces mots me donnent la chair de poule, même encore aujourd'hui. Ce fleuve la Gange que ma mère a traversé pour me déposer à l’orphelinat de Patna. Le symbolisme, la douleur mais aussi la beauté de l'amour peuvent être si significatifs. Le soir, j'ai décidé de mettre les événements de côté pour un moment, en profitant du dîner et de la compagnie de mes amis.

Le lendemain, nous sommes allés rendre visite à l'ami qui avait donné le numéro du Mukhajee. Pendant la conversation, le "mukhajee" m'a appelé. J'ai relayé l'appel à mon ami et il a compris que la famille était convaincue que j'étais leur sœur disparue. Il n'y avait pas d'autre option que de faire un test ADN. J'ai accepté et mon ami m'a accompagnée les jours suivants : trouver le bon test ADN, persuader la famille de venir au laboratoire, le coût, ... Toute ma deuxième semaine y a été consacrée, car dans la culture indienne les rendez-vous sont souvent reportés, et parce que je voulais revérifier toutes les informations qui me parvenaient... La veille de mon départ pour la maison, nous avons pu recevoir la famille à Patna. Le trajet jusqu'au laboratoire a été désagréable, on ne s’est Presque pas parlé. Sur le chemin du retour, cependant, il y a eu des discussions et même des larmes ont coulé lorsque nous nous sommes dit au revoir. La culture masculine, autrement sérieuse, a maintenant montré une certaine sensibilité. J'ai laissé libre cours à mes émotions, sans savoir si je reverrais cette famille un jour.....

15 novembre 2022. Je me réveille avec le nez bouché, la gorge sèche et un mal de tête. Aller au travail n'est pas possible aujourd'hui. Je ne me sens vraiment pas bien dans ma peau, et ça ne m'arrive pas souvent. Les microbes présents dans mon corps y sont évidemment pour quelque chose. Mais il y a aussi un malaise. La première fois depuis que je suis rentré de deux semaines en Inde. L'agitation, pour quoi exactement ?

Vers 8 heures du matin, je reçois un courriel, de l'Inde! Tout à coup, je suis bien réveillé et je me concentre sur la lecture du contenu. Mon cœur bat déjà à tout rompre et pendant un moment, je ne sens pas non plus mon mal de gorge. Ma tête est en train d'exploser. Les chiffres dansent devant mes yeux. Et mes yeux se déplacent en diagonale sur le document: fratrie, analyse, ADN... Soudain, mes yeux se posent sur les mots "An Jacobs et N. sont apparentés en tant que frères et sœurs". Whouah! Mon corps s'emballe, et mes intestins se contractent. Je pleure de bonheur: youpie! J'ai trouvé ma famille! Je ferme les yeux, et je me laisse flotter dans mon petit monde, l'Inde ensoleillée, Muzaffarpur, les litchis, la rivière Gandak, ... Mes larmes coulent sur mes joues.....

Quelques instants plus tard, un anti-climax s'empare de moi lorsque je me réprimande et me force à lire l'ensemble du document avec calme et attention. Je regarde attentivement les chiffres, qui ne me disent pas grand-chose pour l'instant. Puis j'arrive à la conclusion et je lis la phrase complète avec consternation: "Ce cas a été évalué pour fournir la preuve que An Jacobs et N. sont apparentés en tant que frères et sœurs". Une confusion totale m'envahit. Je continue à lire et je me rends compte que le test ADN est négatif. Mon euphorie est remplacé par un bouleversement total. Entre-temps, mon mari est rentré et je lui communique l'information. Il confirme qu'il n'y a aucun lien avec la personne qui a effectué le test ADN en Inde. Mon chagrin est indescriptible. Pourtant, mon amant me tire du gouffre. De lui, je sais qu'il est et sera toujours là pour moi. Sa vision rationnelle est la bienvenue ici pour un moment. Je ferme mon ordinateur et je descends. Nous prenons le petit-déjeuner ensemble et je vide mon bol de flocons d'avoine chauds. Ma tasse de thé, je la bois à petites gorgées. Mon regard se fixe au loin, dans le néant. Cela me rappelle ma photo de couverture sur Facebook. Moi, petite bambin, nouvellement arrivée en Belgique, regardant anxieusement devant elle, complètement déprimée et ne comprenant pas ce qui va se passer. Même maintenant, pendant un moment, je ne sais pas quelle sera la prochaine étape. Je décide de ne rien faire aujourd'hui. Et de laisser tout être pour un moment....

Quelque part, entre Muzaffarpur et Patna