47. (On)gewenst

et comment nous « sur-vivons » en tant qu’adoptés

Lundi de Pentecôte, 9 juin 2025, 20h

Rêver d’une présentation de livre, cela m’est arrivé la nuit dernière. Bien que je ne sois pas l’auteur de l’ouvrage, mon subconscient semble avoir été interpellé. La recherche d’une salle adéquate, le stress de l’heure, et surtout la tension : comment les autres réagiraient-ils à cette publication critique sur l’adoption ? Tous ces éléments ont traversé mon esprit alors que j’étais encore dans mon lit. Je me suis senti connectée aux autrices, Kiran Van der Avert et Ae Ra Van Geel, que j’ai rencontrées à une période où moi-même je peinais à comprendre mon adoption.

À 13h30, je prends la route vers Anvers pour la deuxième présentation du livre en dix jours. Kif Kif a rendu cet événement possible en collaboration avec Untold Asian Stories. Cette présentation a une portée profonde, elle touche, elle interpelle, elle nous fait ressentir et prendre conscience de l’impact de l’adoption. Kif Kif maakte dit event mogelijk ism Untold Asian Stories. Deze boekvoorstelling is er eentje met een dieperliggende boodschap die ons (geadopteerden) bereikt, raakt, doet voelen/beseffen welke impact adoptie kan hebben.

Lorsque j’arrive, la salle est déjà bien remplie. À l’entrée, nous recevons des tickets de boisson des plus adorables personnes présentes. Je me fraye un chemin et trouve une place de l’autre côté de la salle. Plus tard, je réaliserai que je me suis (inconsciemment) installée derrière la mère de Kiran, une prise de conscience qui ne viendra qu’au milieu de la présentation. Avec Jewel, le frère de Kiran, je suis arrivée en Belgique le 25 juillet 1981. Jewel faisait partie des milliers d’enfants indiens « nés » d’un oiseau de métal.

Le livre aborde des thèmes sensibles et douloureux : l’abandon, le racisme, l’attachement, la tendance à plaire, le fait de ne pas pouvoir être soi-même parce que l’on doit être reconnaissant, la dissociation, le déplacement… La liste des difficultés que les adoptés doivent affronter est longue. Et parfois, comme dans le cas de Jewel, la douleur devient insoutenable, et disparaître semble être la seule solution pour y échapper. La vie d’un adopté peut être tumultueuse, et celle des parents d’origine également (qu’ils répriment la perte de leur enfant pour survivre, ou qu’ils aient été privés de leur enfant contre leur gré). Mais l’impact sur les parents adoptifs n’est pas à négliger. La mère de Jewel exprime son profond regret de n’avoir pu faire davantage pour lui, de ne pas avoir pu éviter cette fin tragique. Je ressens sa douleur, et les larmes me montent aux yeux. Je n’ai jamais bien connu Jewel, mais sa perte me touche, même si notre temps ensemble fut bref.

Le livre partage de nombreuses expériences d’adoptés sous forme de témoignages anonymes:

  • J’ai été victime d’abus sexuels dans ma famille adoptive.
  • On me disait souvent qu’on allait me renvoyer si je n’étais pas sage.
  • Dans mon pays d’origine, j’aurais peut-être succombé à la faim, mais ici, je meurs de chagrin chaque jour.
  • Tu es noir, mais tu agis comme un blanc.
  • Tu as tellement de chance. Sois heureux qu’on ne t’ait pas avorté. Aurais-tu préféré être orphelin ?

Toutes ces phrases rendent plus difficile la recherche d’un équilibre et la construction d’une identité propre. Des études montrent que près de la moitié des adoptés internationaux rencontrent des difficultés sociales directement liées à leur adoption. Leur risque de développer des problèmes mentaux (suicide, hospitalisation psychiatrique) est jusqu’à quatre fois supérieur à celui de leurs pairs non adoptés. Ils ont également cinq fois plus de chances de développer une dépendance aux drogues ou à l’alcool, et leur probabilité d’être impliqués dans des délits est deux à trois fois plus élevée. Alors pourquoi continue-t-on à croire que l’adoption est une bonne mesure de protection de l’enfance et qu’un enfant sera forcément mieux loti en grandissant en Occident ? L’idée que l’adoption est une solution idéale est dépassée. Il est urgent d’investir davantage dans le bien-être des adoptés. Déplacer un enfant sur des milliers de kilomètres, d’un environnement familial à une culture totalement différente, comporte bien plus de risques qu’on ne l’imagine. Cela coûte également une fortune, de l’argent qui serait bien mieux utilisé pour améliorer les conditions de vie dans le pays d’origine.

Le micro-racisme existe aussi au sein des familles adoptives. Parce que les adoptés vivent souvent dans la crainte d’être rejetés à nouveau, beaucoup minimisent les discriminations qu’ils subissent. L’idée que les Blancs élèvent mieux les enfants que les Asiatiques ou Sud-Américains est absurde. Dans ce cas, pourquoi ne pas envoyer des enfants européens à des Africains fortunés, puisque leur richesse leur permettrait de leur offrir une meilleure éducation ?

Les flux financiers liés à l’adoption vont aux mauvais acteurs. L’adoption est un marché faussé par l’offre et la demande. Tant que des gens voudront adopter, il y aura des enfants ‘proposés’, même si l’on parle aujourd’hui principalement d’enfants ayant des « besoins spécifiques ». Mais quel accompagnement pourraient-ils recevoir ici, alors que les listes d’attente concernant la santé mentale sont déjà interminables ?

Les abus dans le système de l’adoption sont aussi abordés dans le livre. Les autrices sont formelles : l’adoption n’est plus adaptée à notre époque. La souffrance psychologique qu’elle engendre doit cesser. Comparer la détresse psychologique des enfants dans leur pays d’origine avec le traumatisme précoce causé par l’adoption transnationale n’a aucun sens. Il faut mettre un terme à un système défaillant. La Suède vient d’annoncer une suspension des adoptions internationales. Bientôt, la Belgique mettra en place une commission fédérale pour analyser l’histoire des adoptions transnationales. Aujourd'hui même (10/6/2025), la ministre du Bien-être, Caroline Gennez (Vooruit), a suspendu les adoptions en provenance de l'Inde et du Togo vers la Flandre.

Et pourtant, l’État déçoit aujourd’hui par son absence. Après des années de travail, d’innombrables réunions, des discussions avec les services d’adoption, le Centre Flamand de l’Adoption, le Steunpunt Adoptie, et des parents adoptifs qui contestent notre point de vue critique, j’en ai assez. Désormais, je ferai entendre mon opinion, étayée, en partie, par le livre (Non-)désiré d’Ae Ra et Kiran. Mesdames, votre ouvrage est plus que bienvenu (‘désiré) !

A Toko139, le lundi de Pentecôte. De gauche à droite: Sheela, Ae Ra, Kiran et moi-même